Textes de Sophie Vianey
À Ojīsan
Je décidai de partir à sa rencontre un beau soir de novembre. Évidemment je savais que je ne le retrouverais pas, qu'il ne serait plus là pour m'accompagner dans ce Paris qu'il m'avait fait aimer, ce Paris que j'épelais de sa voix et me guiderait durant quatre belles saisons, quatre saisons dans ses pas, et durant lesquelles nous nous tiendrions la main, et pour seule musique, sa voix, fil de notre infrangible lien.
L’avenue des Champs-Elysées, 8 e arr.
Je voulais revoir la place de l’Étoile, à cause de son nom qui m’avait toujours intriguée.
Enfant, j’imaginais qu’elle brillait au point d’éclairer la ville entière jusqu’à ce qu’il me montre une photographie et dit : « Écoute ce que celle-ci raconte et ne montre pas : « Au mois de juin 42, un offcier allemand s’avança vers un jeune homme et lui dit : Pardon, monsieur, où se trouve la place de l’Étoile? Le jeune homme désigna le côté gauche de sa poitrine.»
La boutique du concessionaire Citroën sur les Champs-Elysées., 8 e arr.
Il aimait les automobiles, l’odeur apaisante du cuir qu’il ne retrouvait plus aujourd’hui. Parfois je le surprenais en train de frotter le dessous des sièges de sa voiture avec un vieux chiffon qu’il avait imbibé de quelques gouttes d’essence de cuir. Un jour qu’il me conduisait à l’école, il lança fièrement : « tu sens la bonne odeur, c’est comme le parfum d’une femme aimée, il nous emmène au bout du monde ». Mais nous n’allions pas plus loin que l’école.
Une fois garés, il me montra une Citroën et soupira : « Qui se souvient de Rosalie qui circulait dans les années trente, et son logo du cygne voguant devant les chevrons ? À chaque époque sa signature. » Alors je décidai de consigner dans un carnet chaque logo de marques, leur évolution à travers les âges, et de lui offrir à son prochain anniversaire. Je sais qu’il a longtemps gardé ce petit carnet de moleskine dans la boîte à gants de ses automobiles au fur et à mesure qu’il en changeait.
Place de la Concorde, 8 e arr.
Malgré la neige il faisait doux cet hiver-là quand nous avons traversé la place de la Concorde. Je tenais sa main serrée dans la mienne de peur qu’il glisse sur ce tapis presque immaculé.
Soudain je m’arrêtai, imaginant le sang sur les pavés, fuyant les fantômes de Louis XVI et de Marie-Antoinette, celui de Robespierre, exécutés sur cette même place autrefois nommée place de la Révolution. Puis je relevai la tête et croisai le regard d’Ojīsan, nous étions bien. Il fallait apprécier l’hiver comme il venait.
Place de la Concorde et l’église de la Madeleine, 8 e arr.
Lui et moi partagions la même passion des comédies musicales. Dans mes rêves les plus fous j’imaginais qu’un jour je danserai sur un air de Gershwin comme Leslie Caron et Gene Kelly dans Un américain à Paris. Ici la fontaine des Fleuves, au Sud la fontaine des Mers, Paris m’appartenait, je rejouais la scène fnale, j’étais Louise dans les bras de Jerry, plus rien n’avait d’importance, j’étais étoile, place de la Concorde.
Bistrot Place Clichy, 17 e arr.
Qu’il vente ou qu’il neige, Ojīsan me donnait souvent rendez-vous dans un de ces squares parisiens qu’il affectionnait tant. Nous marchions longtemps avant de mériter un café, dans un de ces coin abrités de la ville dont il avait le secret, où nous tissions d’interminables conversations comme d’autres tissaient à des tables voisines quelques amours naissantes. Tant de choses se jouent dans l’intimité d’un lieu public. Les murs anonymes, le brouhaha, nous protégeaient d’une certaine gravité, donnant à nos confidences l’élégance de la légèreté.
Boulevard des Capucines, 9 e arr.
Ce 27 novembre 2015, le soleil n’était pas encore couché quand nous nous sommes retrouvés devant le café de la Paix. Ojīsan voulait profter de la lumière encore, et plutôt que nous asseoir autour d’un chocolat chaud qu’il accompagnait invariablement d’un millefeuille, nous avons emprunté le boulevard des Capucines et marché jusqu’à la nuit. Chaque enseigne de magasin rivalisait de superlatifs pour annoncer des baisses vertigineuses de prix. À quelques jours seulement des attentats terroristes qui avaient frappé Paris, ce « Vendredi noir » s’était mué en « Journée XXL » par pudeur envers les victimes, voulais-je croire. Black friday, maugréa Ojīsan, comment peut-on s’émouvoir de cette célébration consumériste sans en mesurer les conséquences, comment souscrire à cette hystérie, comment y croire?
À cet instant précis, entre mille têtes affairées, nous avons croisé Alain Souchon. Pour un peu j’aurais dit qu’il n’y avait pas de hasard, et fredonné "Foule sentimentale". Puis dans un sourire dont il avait le secret, Ojīsan murmura : « Un homme est riche de tout ce dont il peut se passer. »
Fleuriste de la place de la Madeleine, 8 e arr.
Depuis mon plus jeune âge je dessinais des tournesols, partout, sur mes cahiers d’écolier, au rouge à lèvres sur les miroirs des salles de bain, dans un coin de table abîmée, sur les vitres embuées des trains, mais jamais encore je n’en avais cueilli de si fous, et jamais de si fous soleils n’auront brûlé ma main, mais à la faveur d’un miracle, je m’inclinais devant l’ordre prodigieux d’une nature flavescente.
Église de la Madeleine, 8 e arr.
J’avais couru quelquefois jusqu’à l’église de la Madeleine, pour quelques cérémonies prestigieuses, enterrements d’hommes ou de femmes illustres, mais jamais je n’avais découvert son secret.
Il m’a fallu attendre un midi d’avril. Nous cherchions un endroit où déjeuner, mais à cette heure-ci déjà, les restaurants grouillaient d’une clientèle affamée, et nos préférés affchaient complet.
Malicieusement, Ojīsan me conduisit à une porte dérobée située au flanc de l’église, et stupéfaite, je découvris que la crypte, chargée d’histoire, abritait un restaurant où se régalaient au coude à coude une clientèle hétéroclite, où les plus démunis n’ont pas leur assiette moins remplie que celle du nanti assis à la table voisine, et pour une somme dérisoire.
À l’origine de cette action caritative, il fallait remonter au XIXe siècle où l’impératrice Eugénie, soucieuse de vaincre le paupérisme, décida d’assurer le repas de ses couturières du faubourg Saint- Honoré, célèbres et modestes midinettes, dans les coursives de l’église.
L’Arc de Triomphe depuis le parc Monceau, 8 e arr.
Le 18 février 1806 Napoléon écrit au ministre de l’Intérieur Champagny :
— Vous emploierez 500 000 francs pour l’érection d’un arc de triomphe à l’entrée des boulevards, près du lieu où était la Bastille, de manière qu’en entrant dans le faubourg Saint-Antoine, on passe sous cet Arc de Triomphe.
Face aux hostilités du ministre et de l’architecte Jean-François Chalgrin chargé d’en réaliser les plans, Napoléon répond le 9 mai suivant :
— Monsieur Champagny, après toutes les difficultés qu’il y a à placer l’arc de triomphe sur la place de la Bastille, je consens qu’il soit placé du côté de la grille Chaillot, à l’Étoile, sauf à remplacer l’Arc de Triomphe sur la place de la Bastille par une belle fontaine, pareille à celle qu’on va établir sur la place de la Concorde.
L’arc de triomphe de l’Étoile sera inauguré le 29 juillet 1836 pour le sixième anniversaire des Trois Glorieuses.
Escalier Foyatier, Montmartre, 18 e arr.
Montmartre se mérite. Jamais nous n’empruntions le funiculaire pour nous y rendre ; tel un rituel, grimpant les escaliers de la rue de Foyatier, nous comptions en silence les 222 marches menant au Sacré-Coeur, comme si un beau jour il pouvait venir à en manquer. C’était notre Everest, notre Mont Chimborazo, et sur la Butte enfn, nous savourions un instant notre récompense. Mais bien vite nous nous écartions de la foule et prenions les chemins de traverse qui dépliaient les souvenirs d’un autre siècle, jouions avec les ombres de Prévert ou Picasso avant de nous inviter à leur table.
Tour Eiffel, 7 e arr.
J’étais encore enfant, Ojīsan dans la fleur de l’âge, lorsqu’il décida de m’entrainer à Paris fêter le 14 juillet mais aussi, et surtout, m’emmener la veille danser au bal des pompiers. Il voulait faire les choses en grand et me ft la surprise d’un dîner au premier étage de la Tour Eiffel. Après le repas dont je me rappelle comme si j’étais encore à table, nous avons gravi les marches pour atteindre l’ascenseur qui nous mena 279 mètres au-dessus de la terre. Le vent fouettait nos visages, j’avais froid malgré l’été, mais sidérée je regardai Paris si grand, mais si petit à mes pieds. Ojīsan me rapporta, telle une confidence, qu’il avait le vertige, et qu’il était temps d’aller danser. Nous avons rejoint un des bals de pompiers comme il en fourmillait à Paris, Ojīsan me soulevait sur des airs d’accordéon, nous tournions à en tituber.
Le Pont Mirabeau
Quand Paris ressemble à un champ de muguet, mon 1er mai fleurit à cet endroit précis, comme unemémoire chantant Apollinaire, et d’autres voix. Chaque fois que j’emprunte ce « bras » pour aller d’une rive à l’autre, résonnent sous mes pas les premiers vers du poète, dédiés à Marie Laurencin*. Mais c’est aussi un premier jour de mai 1970 que le corps de Paul Celan est retrouvé dans la Seine, alors qu'il s'était jeté du pont Mirabeau dans la nuit du 19 au 20 avril.
Construit en 1893, entièrement fait de métal, classé monument historique en 1975, il offre un magnifique panorama dominé par la Tour Eiffel qui semble veiller sur la capitale.
D’un côté, cette partie paisible XVe arrondissement, ses récentes résidences dédiées aux médias, appuyées sans complexe sur d’anciens immeubles bourgeois, et la Tour Eiffel ; sur l’autre rive, nous voici déjà rue Rémusat*, où vécut la chanteuse Barbara de 1961 à 1967, au numéro 14, avant de s’enfoncer davantage dans le quartier chic du XVIe arrondissement.
Que de murmures sous nos pas !
Notes :
- « Pont Mirabeau », poème de Guillaume Apollinaire : "Sous le Pont Mirabeau coule la Seine. Et nos amours faut-il qu'ils m'en souviennent. La joie venait toujours après la peine"…
- La chanteuse Barbara quitte l'immeuble de la rue Rémusat à la suite du décès de sa mère, ce qui lui inspire, en 1972, la chanson Rémusat, où elle évoque ce double départ.
Le café de la Paix
Il y a des lieux où tant d’ombres s’y bousculent qu’il est difficile d’y pénétrer. Le faste du café de la Paix m’intimidait moins que la figure d’Oscar Wilde ou celle d’Émile Zola écrivant « Nana » à sa table réservée. Ojīsan y venait souvent à l’époque lointaine où son amour pour une célèbre ballerine le menait au pied de
l’Opéra jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Il la retrouvait fiévreusement alors, à la fin des représentations qu’elle donnait.
C’est sous les ors du Café de la paix, un soir de juillet, qu’il avait demandé la main de Valentina, et c’est au même endroit qu’ils rompirent avant que la noce eût lieu, un jour chagrin du même été.
Chaque fois que nos pas nous menaient sur les traces de son ancienne fiancée, Ojīsan levait inexorablement les yeux vers le quatrième étage du Grand Hôtel*, et répétait d’une voix tremblante, comme s’il s’agissait de sa propre histoire : « vois-tu, c’est là que l’héroïne de Zola, Nana, trouva si tragiquement la mort ». À cet instant précis je pensai : les êtres qui nous sont les plus chers sont aussi les plus mystérieux.
* Aujourd’hui nommé L’Intercontinental.
Église Saint-Gervais-Saint-Protais
Quand les rumeurs de la ville se font oppressantes, il faut se diriger rue des Barres, aux abords de la Seine, et franchir les portes de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais à l’heure des matines ou de l’Angelus. Entendre les choeurs des Soeurs de Jérusalem s’élever vers les somptueux vitraux datant du XVIe siècle, c’est un peu de sérénité retrouvée.
Le Carreau du Temple
Où sont cachées les ombres de ces commerçants venus d’Europe de l’Est, et plus tard du bassin méditerranéen, qui se pressaient à l’aube pour obtenir leur emplacement tiré au sort, et vendre leur
marchandise ? Où s’est évanoui l’écho de leurs voix aux accents yiddish, arabes, italiens ou polonais ? L’histoire de la classe ouvrière et de l’immigration s’écrivait alors dans un joyeux brouhaha où pauvres et bourgeois faisaient affaire.
C’est sur les cendres d’un des derniers vestiges du Paris populaire célébré dans toute l’Europe qu’on a construit un lieu dédié aux activités sportives et culturelles, adapté au nouveau visage urbain, et à l’appétit des habitants récents du Haut- Marais.
Après bien des transactions, c’est en 2009 que démarre un vaste chantier de rénovation voué à abriter diverses associations et événements pluridisciplinaires. Mais le passé ne se laisse pas enterrer si facilement, et le Nouveau Carreau du Temple ne sera inauguré qu’en 2014.
Lors des fouilles archéologiques entreprises en 2011 dans l’Enclos des Templiers bâti au-dessus d’un cimetière médiéval, on retrouva 120 sépultures du XIIe siècle et 500 autres du XVIIIe siècle.
Ce lieu renferme l’histoire tourmentée du moyen-âge à ce dernier millénaire. Un quartier transfiguré par son époque, sans être défiguré pour autant.
Le musée Jacquemart-André
Lorsque j’étais enfant, Ojīsan aimait tant me faire découvrir les merveilles du musée du Louvre que je n’osais lui dire combien cette profusion d’oeuvres d’art m’étourdissait, certes de toutes ses beautés, mais elle me submergeait aussi. Nous avions beau finir la journée par une balade dans le jardin des Tuileries, une gaufre
et une orangeade plus tard, je songeai à cette visite que nous avions faite l’hiver dernier au musée Jacquemart-André.
À hauteur de mes douze ans, dès que je franchis le seuil de cet hôtel particulier, son atmosphère feutrée, j’eus l’étrange sensation de pénétrer dans une demeure privée à laquelle j’étais conviée, tel un hôte privilégié. Une mystérieuse douceur m’enveloppait, à commencer par ce jardin d’hiver baigné de lumière et de végétation. Nous traversions les salons privés, je m’arrêtai devant Le Fumoir, conçu pour abriter de longues conversations entre hommes après un déjeuner, fameux sans aucun doute, pendant que les femmes devisaient dans un autre salon, ou se laissaient guider par Nélie, la maîtresse des lieux, dans la salle florentine ou vénitienne, celle qui rassemblait quelques chefs d’oeuvre du XVe siècle, si chers à Édouard.
Le mariage de Nélie Jacquemart et d’Édouard André en 1881 fut un mariage de raison, de très bonnes raisons oserai-je dire. Édouard André, issu d’une riche famille de banquiers, fit construire cet hôtel particulier par Henri Parent. C’est en 1872 qu’il rencontra l’artiste peintre Nélie Jacquemart, chargée
d’exécuter son portrait. Ils ne se marièrent que neuf ans plus tard, et le couple de collectionneurs consacra l’essentiel de sa (leur)vie aux oeuvres d’art qu’ils ramenaient de leurs voyages.
Nélie, désemparée par la mort d’Édouard André 1894 alors qu’il n’avait que soixante ans, mena un combat acharné qu’elle finira par gagner, contre la famille de son époux qui tenta de récupérer la fortune pourtant léguée à sa veuve.
Elle voyagea alors d’Inde en Chine et de Chine au Japon, enrichissant ainsi ses collections jusqu’à son décès en 1912. Dans son testament Nélie Jacquemart stipulait sa volonté de léguer l’hôtel particulier à l’Institut de France, et que les collections soient ouvertes au public.
En 1913, le musée Jacquemart André était inauguré par Raymond Poincaré.
Le musée du Louvre.
Façon canaille
À toute allure
Traversé en 9 minutes et 42 secondes par Odile, Franz et Arthur , interprétés respectivement par Anna Karina, Samy Frey et Claude Brasseur, les héros du film de Jean-Luc Godard, Bande à part.
Un record battu par Eva Green, Louis Garrel, et Michael Pitt dans Innocents, de Bernardo Bertolucci, avec 9 minutes et 27 secondes.
Record lui-même battu par l'artiste Beat Lippert qui est parvenu à traverser le musée en 9 minutes et 14 secondes.
Place des Vosges
Voyage dans le temps
Lorsque je traverse la place des Vosges, je me demande toujours quelles ombres la traversent pour d’autres passants, l’ombre de quels hommes, de quelles femmes, de Victor Hugo ou de madame de Sévigné, à moins que ce soient celles, plus contemporaines de Delphine Seyrig ou de Jack Lang ? Ojīsan avait son rituel, je le perpétue. Installée sur un banc à l’ombre d’un marronnier, au centre du square Louis XIII, pour mieux parcourir du regard cette place chargée d’histoire, mes paupières trébuchent sur le passé, et doucement se ferment.
… Georges Simenon se lève aux aurores pour noircir les pages d’un Maigret, Jean-Claude Brialy reçoit fébrilement le Tout-Paris, et le célébrissime Victor Hugo organise, au deuxième étage de l'hôtel de Rohan-Guéménée, les dîners littéraires les plus prisés de la capitale. Musset, Balzac, Vigny, Nerval, Dumas, tant d’autres amis aussi, viennent s’enivrer du parfum des fleurs qui monte jusqu’aux fenêtres de leur hôte. Les grands hommes attablés dans la salle à manger ne se lassent pas de refaire ce même monde que les enfants, Léopoldine, Charles, Victor et Adèle, découvrent en courant dans toute la maison, à moins qu’aux beaux jours ils jouent au cerceau et farandolent sur la place Royale, celle qui deviendra définitivement Place des Vosges en 1870. Fallait-il qu’ils étouffent leurs rires quand leur père rédigeait Lucrèce Borgia ou Ruy Blas, debout à son bureau ? Qu’ils tendent l’oreille pour l’entendre rejoindre l’une de ses maîtresses installée dans l’aile des Tournelles ?
Mais soudain, des éclats de voix me distraient des amours clandestines de Victor Hugo. J’ouvre les yeux, il fait grand jour. Mon regard se heurte à Porthos, Athos, Aramis et D’artagnan venus là se donner rendez-vous*.
Je me lève enfin, indolente et riche d’une nouvelle conjugaison qui réconcilie présent avec passé, ces femmes et ces hommes rencontrés dans une même vie comme autant d’époques réconciliées. Je pousse la grille du square pour aller dans les pas d’autres fantômes à proximité, réjouie d’avoir ainsi donné de l’ampleur à l’existence.
*Georges Simenon au numéro 21
*Jean-Claude Brialy au numéro 3
*Victor Hugo au numéro 6
* Dans « Vingt ans après », la suite des Trois mousquetaires, Alexandre Dumas narre cet épisode du rendez-vous place Royale (place des Vosges).
Librairie Shakespeare and Company
« J’ai créé cette librairie comme un homme écrirait un roman, construisant chaque pièce comme un chapitre. Et j’aimerais ouvrir la porte aux visiteurs, comme j’ouvre un livre.
Un livre qui les conduit vers le monde magique de leur imagination. »
George Whitman
Aujourd’hui située à deux pas de la Seine et de Notre Dame, dans un immeuble du XVIIIe siècle, des étalages de livres fatigués adossés à la façade verte et jaune, Shakespeare and Company est encore un nid douillet, où les plus grands écrivains anglo-saxons trouvaient refuge autrefois.
L’histoire de Shakespeare and Company remonte aux années 20 avec Sylvia Beach, libraire et éditrice américaine. D’abord installée rue Dupuytren puis au 12 rue de l’Odéon, la librairie devient vite l’épicentre du Paris littéraire et intellectuel. S’y retrouvent Ernest Hemingway, Ezra Pound, Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, et bien sûr James Joyce dont elle publiera la première version d’Ulysse.
Foyer de la Lost Generation à la Beat Generation lorsque George Whitman reprend le flambeau en 1951 rue de la Bûcherie*, la librairie demeure un important centre de la culture littéraire. William S. Burroughs, Allen Ginsberg, Gregory Corso viennent y chercher le repos... Aujourd’hui encore, contre quelques heures de travail, les écrivains voyageurs trouvent ici un lieu d’hospitalité.
George Whitman meurt en 2011. Sa fille Sylvia poursuit l’aventure, en digne héritière de son père.
*Dans un premier temps la librairie est baptisée Le Mistral, mais Sylvia Beach, contrainte de fermer sa librairie à la seconde guerre mondiale, invite George Whitman à reprendre le nom de Shakespeare and Company. C’est chose faite en 1964, à l’occasion du 400ème anniversaire de la naissance de William Shakespeare.
Parc Georges Brassens
Petite, je me demandais pourquoi les vieux aimaient les squares froufroutant de rires d'enfants, souvent débordés de cris et de pleurs aussi. Sans doute car ils sont les miroirs de l'enfance, enfin retrouvée. Mon square familier, qui m’enchante chaque fois que je me penche à la fenêtre, abrite évidemment la persistance de cette enfance, enfin je dirais plutôt qu'il m'évoque une cinquième saison qui épouse les autres. Pour l'adulte, le square est une nostalgie.
Mais plus loin qu’à ma fenêtre, il y a ce parc, en hommage à Georges Brassens, qui n’est pas celui qui abritait mes jeux, mais ceux de Nine et Aliocha. Je les ai souvent photographiés pour retenir les émotions intenses qui se lisaient sur leur visage, quand la première blessure au genou de Nine ou les premiers pas de son frère, Aliocha.
Leur fierté à chaque nouvel apprentissage, mais aussi parfois leur ennui, les disputes pour grimper le premier à l’échelle ou s’emparer de la trottinette bleue que Gaspard préférait tendre à un autre, juste pour mesurer l’importance de son bien. Le parc, c’est essuyer déjà la douleur du refus et s’armer pour vaincre les déceptions.
Je pressentais, à leur façon d’occuper l’espace de jeux, comme ils aborderaient le monde et s’offriraient à lui dans quelques années.